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sexta-feira, 23 de agosto de 2024
Sometimes A Mountain
segunda-feira, 15 de julho de 2024
Je est un film...
Où se cache l'autobiographie, par Luc Moullet
Soit telle quelle, soit sous forme romancée, l'autobiographie est omniprésente en littérature : je citerai, au hasard, Blixen, Bukowski, Cavanna, Donleavy, Dickens, Dostoïevski, Gorki, Ellroy, Jouhandeau, Léautaud, Lodge, London, McCullers, Melville, Miller, Nin, Powys, Rousseau, Stein, Svevo, Soljenitsyne, Strindberg, Vargas Llose, Weyergans, Wilde, Wolfe. Leurs ouvrages ont beaucoup d'admirateurs, peu de détracteurs.
Au cinéma, c'est plutôt le contraire. J'ai souvent entendu des producteurs ou des fonctionnaires audiovisuels attribuer la médiocrité du cinéma de leur pays au fait que les cinéastes voulaient trop souvent tourner des films inspirés par leur propre vie. Pour ces gens-là, le mot autobiographie avait une connotation très péjorative. Leur argumentation reposait sur trois motifs.
1. L'autobiographie est centrée sur une seule personne, alors que les films sont destinés à des milliers de gens, que mènent une existence assez ordinaire très différente de celle d'un réalisateur, personnage atypique. C'est oublier que le spectateur moyen est souvent attiré par l'individu d'exception — les têtes couronnées par exemple — et aussi que l'autobiographie recouvre souvent le passé du cinéaste, sa vie privée, rien que de banal, et non pas sa vie professionnelle, supposée singulière. Et si le film autobiographie est parfois centré sur une seule personne, on peut en dire autant d'un grand nombre de productions standard. Prolongeant la vielle doctrine classique « Le Moi est haïssable », il y a aussi l'accusation contre le cinéaste, qui chercherait à n'étaler que son « moi », supposé indigeteste, plutôt qu'à séduire le spectateur. Mais on peut opposer à cela les étonnants succès des films autobiographiques comme ceux d'Allen, de Moretti, de Pialat, de Truffaut, non moins évidents que ceux des écrivains cités plus haut.
2. Le film autobiographique témoigne d'un manque d'invention de la part du cinéaste. Il y a moins de travail à faire, puisque la matière de l'œuvre est déjà là, à portée de la main, toute prête. Il n'y a pas à se torturer les méninges pour trouver une intrigue inédite ni à faire une longue enquête sur les mœurs des baleiniers du Kamtchatka. Là encore, on retrouve la vieille rengaine classique qui couronne la fatigue et la sueur, et méprise la facilité. Il est certes immoral qu'un cinéaste puisse rater un film après avoir bossé des années sur son scénario et dépensé des dizaines de millions au tournage, tandis qu'un autre réussira le sien à partir d'un script échafaudé en quatre jours et en tournant trois semaines avec trois fois rien, mais c'est la loi de l'expression artistique.
La matière autobiographique offre par contre un gros avantage : il y a là une connaissance directe de la réalité, précieuse, irremplaçable, qui choque souvent parce que la Vérité est insolite, alors que le travail d'enquête repose souvent sur la parole de tiers, et les travestissements qui en découlent.
3. Le film autobiographique — et c'est ce qui gêne les producteurs, soucieux de miser sur des poulains à longue carrière — risque d'être sans lendemain : est-ce que le cinéaste pourra tourner quelque chose d'intéressant une fois qu'il aura épuisé le film de sa propre vie ? C'était le problème du grand cinéaste anglais Bill Douglas, comme celui de l'écrivain Cavanna. Mais certains s'en tirent très bien, comme Allen, qui a réussi à exploiter avec brio sa vie trente ans durant, et c'est pas fini.
L'autobiographie, c'est un faux problème. Il est très difficile — faute d'information — de savoir si un film d'une contrée ou d'une époque lointaine, a une base autobiographique. On accusera parfois un film français d'être nombriliste, ça n'arrivera jamais à un film sénégalais ou japonais. Et pourtant, la présence du double dans Kagemusha est une référence au complexe d'infériorité vis-à-vis de son grand frère dont souffre Kurosawa. Ou Why Change Your Life? (DeMille, 1919) reconstitue un crêpage de chignon entre deux de ses maîtresses. Le champion du grand spectacle DeMille n'est-il pas finalement aussi nombriliste que Garrel ?
A l'opposé, j'ai joué souvent la carte du faux dans mes films dits autobiographiques : Ma première brasse peut passer pour un film narcissique, étant donné que j'en suis l'interprète. Or, il s'agit d'un homme qui désire par dessus tout apprendre à nager, alors que dans la vie, je suis très fier de ne pas savoir nager. C'est donc l'exact contraire de l'autobiographie, que j'introduis plus volontiers — excellent masque — à travers mes personnages féminins.
Impossible de savoir où se cache vraiment l'autobiographie. Peut-être que tous les bons films sont autobiographiques.
Écrire sa vie, par Jacques Nolot
J'écris en état de transe, comme si c'était qui quelqu'un d'autre qui écrivait, à n'importe quelle heure, surtout la nuit ou très tôt le matin. Toujours après un deuil ou une séparation.
Au bout de trois-quatre heures, l'écriture n'est plus la même, le stylo dérape, je prends conscience de que j'écris, je deviens « intelligent », spectateur, je sais qu'il faut que je m'arrête.
Je ne peux pas faire autrement que de parler de moi, j'ai un imaginaire très limité.
Je ne cherche pas un sujet, c'est le sujet qui s'impose à moi, qui me ronge, m'obsède, m'empêche de dormir.
Je vis continuellement avec un cahier et un crayon à côte de moi, en voiture ou à côté du lit.
Tout ce que j'écris, ou le peu que j'écris, est toute ma vie : J'embrasse pas, mon départ chez moi à l'âge de seize ans, La Matïouette, mon premier retour après dix ans d'absence et L'Arrière Pays, mon second retour à cinquante ans pour la maladie et la mort de ma mère.
L'Arrière Pays est un film identitaire, une façon de revenir en arrière, de faire un bilan, comme une boucle.
Ce film ne pouvait être tourné que dans mon village natal avec des acteurs non professionnels de chez moi, une façon de recréer ma propre famille.
J'aurais pu tourneur sans repérages, arriver comme ça, la caméra à la main.
Le film s'est tourné comme l'écriture, malgré moi, comme un dû, une obligation.
J'avais toutes les scènes en tête, les intonations, les émotions, la dérision.
La seule question qui se posait : aurais-je assez de recul, serait-ce assez « fictionnel » ?
J'ai eu peur, une peur positive, propulsive. Il y avait trois pièges : l'égocentrisme, le narcissisme complaisant, la sensiblerie. Je pense les avoir évités.
Égoïstement, la préparation et le tournage ont été les plus beaux jours de ma vie.
L'autobiographie, par Stephen Dwoskin
Je me souviens avoir beaucoup lu à propos de mon écrivain favori, Marina Tsvetaeva, dans l'intention d'écrire un projet de film sur elle. J'ai lu ses écrits ainsi que diverses biographies la concernant. Assurément, les biographies que j'ai lues me donnaient une histoire plutôt détaillée de sa vie — les faits importants de son existence, la chronologie de son œuvre, le nom de ses amants — une sorte de diagramme instructif de la naissance à la mort, bâti à partir des lieux et événements qui ont constitué son univers.
Évidemment, ces biographies n'ont jamais capté l'esprit de cette femme — ni le pouvoir de son souvenir. Cela, c'est dans ses propres écrits qu'on peut le trouver — pas seulement à propos des faits qu'elle évoquait, mais à travers ce que signifiaient les gens et les événements pour elle — du détail de l'uniforme de son père aux plaines cultivées de Russie. Elle a involontairement écrit sa propre autobiographie à travers ses poèmes, ses essais et ses lettres. Lorsque j'ai commencé à faire mon autobiographie Trying to Kiss the Moon, pour moi le concept était fixé, la notion d'autobiographie était claire.
Faire son autobiographie, c'est comme avoir un écho en tête. Le processus repose sur la création de sa propre histoire construite à partir de souvenirs personnels reliés entre eux comme une toile de rêves. Le choix et la sélection ne dépendant pas d'une logique chronologique ni ne nécessitent leur ajustement à l'Histoire. La plus petite chose peut, pour chacun de nous, devenir extrêmement importante et demeurer pourtant inconnue du reste du monde. La plus petite déviation peut influencer votre comportement, un rêve obsédant peut altérer le cours de notre propre histoire. Williams Carlos Williams dit au début de son autobiographie : « Les neuf dixièmes de nos vies sont parfaitement oubliés. Et de ce que nous nous rappelons, mieux vaudrait ne pas révéler la plus grande partie : cela n'intéresserait personne, ou du moins, ne contribuerait pas à la compréhension de ce que nous avons été. »Toutefois, le dixième restant — même si ce n'est que cela — est doux, secret, et devient notre trésor personnel, unique à nos yeux.
Ainsi se définit l'autobiographie. La vie de chacun présentée dans l'« histoire » d'une mémoire fragmentée. D'une mémoire recherchée, trouvée puis reconstituée. Reconstituée avec des morceaux du passé et des morceaux du présent. Il s'agit d'une mémoire qui a faibli et disparu, et s'est en suite rassemblée avec les embellissements imaginaires créés par le présent. Il s'agit aussi d'une mémoire mise sens dessus dessous, tourbillonnante : déformée à travers le temps et recomposée idéalement a posteriori. Les souvenirs sont des vérités commémorées, évincées de la réalité ; des vérités transplantées dans une nouvelle réalité, exacerbée. Ils sont façonnés, dans un sens, semblables à des rêves et synthétisés comme des mythes. Ils prennent seulement ce dont ils ont besoin, ce qu'ils veulent, ou ce qu'ils sont amenés à trouver, pour se reconstruire avec une évidence inédite. Ils forment une logique qui balaie la chronologie familière et la réalité, une logique réciproquement équivalente.
C'est avec ces pensées en tête que j'ai conçu mon autobiographie. En filmant bien sûr, et non en écrivant. Mes souvenirs se trouvaient réunis dans mes albums et dans de vieux films de famille ; de vieux morceaux d'œuvres inachevées, de lettres visuelles qui m'avaient été envoyées et des recréations métaphoriques, liés par les fils invisibles de relations personnelles. Le film est devenu un collage, peut-être, ou bien une peninture de ce trésor, suave, accompli, qui n'appartient qu'à moi seul. L'ancien se mêle au nouveau : ils n'ont pas plus d'importance l'un que l'autre. Toute chose et tout individu placés dans le film donnent une nouvelle forme et éveillent mes souvenirs comme un portrait réfléchi dans un miroir. Le film lui-même devient à son tour le reflet de ce moi recomposé — officiellement mon autobiographie — à partir de tout cela.